Conversation avec Thomas Ducreux, co-fondateur de BackResto
Ruthika
juin 29, 2025
Thomas a fondé BackResto, une application pensée pour simplifier la vie aux restaurateurs en rendant le suivi HACCP plus accessible. Son parcours atypique de Polytechnique aux cuisines de La Table du Récho, en passant par le siège du groupe Accor, reflète une ambition singulière : allier passion du métier, terrain et digital. Dans cette conversation, il revient sur son cheminement personnel, la genèse de BackResto, et sa vision d’une restauration plus responsable, plus humaine, mieux outillée.
Thomas, quel a été ton parcours avant BackResto ?
Depuis l’adolescence, je rêvais de devenir cuisinier. Mais mes parents m’ont encouragé à d’abord obtenir un bac. J’avais de bons résultats scolaires, et en France, quand on a de bons résultats, on te pousse plutôt à faire des études qu’à partir en CAP cuisine ! J’ai intégré une classe prépa, puis l’École Polytechnique. On peut difficilement dire non à Polytechnique !
Malgré tout cela, j’ai toujours eu cette envie de travailler dans le monde de l’hôtellerie-restauration. Alors j’ai orienté toutes mes expériences dans ce sens. Pendant mon stage ouvrier, j’ai été serveur dans un hôtel 5 étoiles en Chine. Et pendant ma dernière année, j’ai fait une alternance dans une agence de communication spécialisée dans la gastronomie et l’œnologie. Toujours un lien avec la cuisine !
Ensuite, j’ai commencé ma carrière dans une startup RH. Mais ça ne m’a pas plu. Alors je suis retourné vers ce que j’aimais. J’ai rejoint le groupe Accor dans un programme d’intégration pour futurs directeurs d’hôtels. C’était exactement ce que je cherchais : de l’opérationnel. Pendant 15 mois, je changeais d’hôtel chaque mois pour découvrir tous les métiers : restauration, réception, revenue management, commercial… C’était très polyvalent.
Je suis ensuite devenu directeur adjoint de la restauration au sein du Novotel Tour Eiffel où j’avais notamment la Direction du Benkay, restaurant japonais gastronomique. C’est à ce moment-là que l’idée de BackResto a commencé à germer. Je voyais qu’un grand groupe comme Accor n’avait aucune solution digitale pour gérer toutes les normes d’hygiène. On était encore avec des papiers, des classeurs… C’était franchement laborieux.
Quel a été le déclic qui t’a poussé vers l’entrepreneuriat ?
Je travaillais au siège d’Accor sur les projets digitaux puis le Covid est arrivé. Cela faisait un moment que je voulais retourner sur le terrain. Comme beaucoup de projets étaient mis en pause, j’en ai profité. Je suis parti pour enfin faire ce CAP cuisine dont je rêvais depuis tout petit, chez Ferrandi. C’était une expérience géniale.
Pour mon stage, j’ai rejoint Frenchie, rue du Nil. J’ai travaillé sur les trois établissements : le restaurant étoilé, le bar à vin gastronomique et la cantine street-food. J’étais un peu plus âgé que les autres stagiaires, je bossais bien, et j’ai vite pris des responsabilités. J’ai eu la chance de tomber sur Carlos, un Brésilien génial. Je suis toujours en contact avec lui aujourd’hui. Il a vraiment pris le temps de me former. Une super expérience. Depuis, j’ai souvent échangé avec des gens en reconversion. Et je leur dis toujours la même chose : choisissez votre stage pour l’ambiance et la bienveillance, pas pour le nom du chef. L’environnement humain doit primer sur la réputation.
Après cela, j’ai rejoint l’équipe d’un restaurant d’hôtel à Paris. Et là, mon idée de BackResto a refait surface. Dans cet hôtel, on avait un outil mais il était archaïque, pas du tout intuitif, et en plus, très cher. Je venais du digital et je me suis dit : il y a sûrement quelque chose d’intuitif à créer. En 2022, je me suis coupé un doigt et j’ai été arrêté. Pendant cet arrêt, j’ai décidé d’accélérer sur BackResto. J’en ai parlé à mon associé, Paul, et on a commencé à développer le projet ensemble. Très vite, grâce à notre réseau, on a trouvé 5 restaurants bêta-testeurs. C’était super précieux : on testait chaque fonctionnalité au fur et à mesure, et on avait des retours immédiats.
On a pu valider notre intuition : les restaurateurs avaient besoin d’un outil simple, au bon prix, pour rester conformes sans y passer des heures. En un mois et demi, nous avions une version exploitable, avec les modules de base. C’est comme cela que BackResto est né.
On a toujours avancé à l’intuition et en restant très à l’écoute du terrain. Quand on a du fixer un prix, on a interviewé nos bêta-testeurs pour leur demander : “jusqu’à combien seriez-vous prêts à payer ?”. Finalement, sans business plan formel, on a trouvé notre marché, et aujourd’hui nous nous développons.
Que propose BackResto ?
BackResto simplifie la gestion des obligations HACCP : le suivi des températures, la traçabilité des produits, la vérification des livraisons, le plan de nettoyage, la qualité des huiles… tout est centralisé dans une application mobile facile à prendre en main.
HACCP est une méthode qui a été développée à la base par la NASA afin d’assurer la sécurité alimentaire des astronautes quand ils partaient dans l’espace. Le principe est d’identifier tous les points de risque d’une contamination, d’un risque sanitaire dans son établissement, et de mettre en place des mesures pour éviter que le risque arrive.
Contrairement à d’autres solutions, BackResto ne surcharge pas le restaurateur avec des tâches inutiles. On ne demande que les infos vraiment utiles en cas de contrôle. L’idée est qu’il puisse faire ce qui est nécessaire… en deux clics.
Par exemple, chaque jour, les restaurateurs doivent relever la température de chaque frigo et chaque congélateur. Nous proposons donc un module de suivi des températures des enceintes réfrigérées. Via l’application, le module de saisie permet d’effectuer ces relevés rapidement, d’avoir un suivi quotidien, et en cas d’anomalie, de justifier, notamment auprès des contrôleurs, que les bonnes mesures correctives ont été prises.
Chaque établissement doit également suivre la provenance de tous ses ingrédients : numéro de lot de la viande, du poisson, du fromage, etc. Aujourd’hui, la plupart des restaurants conservent les étiquettes papier, souvent sales, dans des pochettes pendant au moins six mois. Avec notre application, c’est juste une prise de photo stockée en ligne, sans prendre de place sur leur téléphone, avec une année d’historique de données.
Dans les établissements avec de la friture, l’huile chauffée se dégrade et produit des composants cancérigènes. Ils doivent donc suivre la qualité de l’huile au quotidien et la changer régulièrement. On a un module pour que le restaurateur indique chaque jour le résultat du test de qualité de l’huile et la date de changement.
Aujourd’hui, l’application contient 14 modules. Un restaurant de taille moyenne utilisera les 6 modules principaux. Ces modules sont activables ou désactivables, ce qui permet au restaurateur de personnaliser son compte selon ses besoins.
A qui s’adresse l’application ?
Nous voulions nous adresser à tout le monde. Même au restaurateur seul dans son foodtruck. C’est justement ces petits restaurateurs qui ont le plus besoin d’outils, pour leur faire gagner du temps, parce qu’ils sont tout seuls et qu’ils doivent tout faire.
Dans cet univers de la foodtech, certaines solutions sont très chères et les restaurants sont pris pour des vaches à lait. On s’est dit que ce n’était pas normal que seules les grosses chaînes ou les brasseries puissent s’équiper, d’autant plus que le coût réel du digital ne justifie pas les prix. Notre application est donc accessible, simple et abordable.
Cela n’empêche pas d’embarquer aussi des grosses brasseries qui ont besoin de fonctionnalités plus poussées. Par exemple, nous travaillons avec le Paradis Latin, une salle de spectacle avec un gros service de restauration.
Selon toi, quelle est la chose la plus complexe que les restaurateurs doivent suivre ?
Tout est complexe ! C’est en fait la multiplicité des tâches qui complique les choses. Je dirais que le plus gros défi pour un restaurateur, c’est d’être rigoureux au quotidien. Ce qui est compliqué, c’est que même s’il fait bien son travail sur le terrain — bien laver, bien cuisiner — il doit aussi justifier par des enregistrements écrits qu’il respecte bien toutes les règles. C’est un double effort : faire bien les choses et prouver qu’il les fait bien.
Aujourd’hui, en plus d’être chef et restaurateur, il faut être un bon gestionnaire. Je pense que les restaurants qui vont s’en sortir dans le futur seront ceux qui seront capables de maîtriser leur gestion.
Les réglementations évoluent-elles fréquemment ?
Oui, elles changent beaucoup, surtout au niveau européen. Récemment elles se sont même durcies.
Avant, les contrôles étaient faits par des fonctionnaires de la Direction départementale de protection des populations. Il y avait une certaine souplesse. Depuis un an et demi, l’État a également missionné des entreprises privées pour faire ces contrôles afin d’augmenter leur nombre. Quand les contrôles sont faits par des entreprises privées, elles doivent rendre des comptes à l’État. Elles sont donc plus intransigeantes. Certaines de leurs sanctions peuvent parfois paraître injustes ou incomprises, parce qu’avant, un restaurateur pouvait bénéficier d’une certaine flexibilité quand il avait en face un contrôleur, ce qui n’est plus forcément le cas avec un contrôleur privé.
Pour accompagner nos clients et être pertinents, nous travaillons avec une formatrice partenaire, Sandrine Arnaud. Nous organisons régulièrement des masterclasses. L’idée est d’apporter du contenu pédagogique aux restaurateurs gratuitement. Souvent, ils ont fait leur formation quand ils ont ouvert leur restaurant et ils ont besoin de mises à jour et de rappels. Ces masterclass durent environ 45 minutes et couvrent les points essentiels.
Tu es aussi engagé dans l’alimentation durable…
Oui, je suis membre de la communauté Ecotable depuis 2020 en tant que trésorier. C’est une association qui fédère des professionnels de l’alimentation durable. Elle comprend des producteurs, des distributeurs, des restaurateurs, des serveurs, toutes les personnes qui ont envie de s’engager pour une alimentation plus durable.
Quand on dit “plus durable”, c’est avoir la meilleure démarche pour la planète, pour l’agriculture, pour la santé et pour l’humain aussi en termes de conditions de travail.
Nos actions sont de différentes natures. C’est un réseau et un système d’entraide avant tout : nous avons mis en place différents groupes WhatsApp dans lesquels les restaurateurs peuvent poser leurs questions. On organise aussi régulièrement des événements, soit sous forme de petits déjeuners, d’apéros, qui sont toujours des moments de rencontres, d’échange.
Je vais également ouvrir un restaurant à Paris en septembre, une crêperie moderne, gourmande et engagée, qui valorisera le produit et les producteurs. Une suite logique à mon engagement dans la restauration.
Finalement, j’ai trois casquettes différentes : la casquette BackResto, la casquette restaurant et la casquette associative. Je jongle avec les casquettes, mais finalement les trois ont beaucoup de sens et s’alimentent. Et surtout elles continuent de me faire grandir.
Merci à Thomas pour cette échange passionnant. Retrouvez l’application BackResto ici, ainsi que leurs masterclasses.